La jeune parque
Le Ciel a-t-il formé cet amas
de merveilles Pour la demeure
d’un serpent?
PIERRE CORNEILLE
Qui pleure là, sinon le vent simple, à cette heure
Seule, avec diamants extrêmes?… Mais qui pleure,
Si proche de moi-même au moment de pleurer?
Cette main, sur mes traits qu’elle rêve effleurer,
Distraitement docile à quelque fin profonde,
Attend de ma faiblesse une larme qui fonde,
Et que de mes destins lentement divisé,
Le plus pur en silence éclaire un coeur brisé.
La houle me murmure une ombre de reproche,
Ou retire ici-bas, dans ses gorges de roche,
Comme chose déçue et bue amèrement,
Une rumeur de plainte et de resserrement…
Que fais-tu, hérissée, et cette main glacée,
Et quel frémissement d’une feuille effacée
Persiste parmi vous, îles de mon sein nu?…
Je scintille, liée à ce ciel inconnu…
L’immense grappe brille à ma soif de désastres.
Tout-puissants étrangers, inévitables astres
Qui daignez faire luire au lointain temporel
Je ne sais quoi de pur et de surnaturel;
Vous qui dans les mortels plongez jusques aux larmes
Ces souverains éclats, ces invincibles armes,
Et les élancements de votre éternité,
Je suis seule avec vous, tremblante, ayant quitté
Ma couche; et sur l’écueil mordu par la merveille,
J’interroge mon coeur quelle douleur l’éveille,
Quel crime par moi-même ou sur moi consommé?…
… Ou si le mal me suit d’un songe refermé,
Quand (au velours du souffle envolé l’or des lampes)
J’ai de mes bras épais environné mes tempes,
Et longtemps de mon âme attendu les éclairs?
Toute? Mais toute à moi, maîtresse de mes chairs,
Durcissant d’un frisson leur étrange étendue,
Et dans mes doux liens, à mon sang suspendue,
Je me voyais me voir, sinueuse, et dorais
De regards en regards, mes profondes forêts.
J’y suivais un serpent qui venait de me mordre.
Quel repli de désirs, sa traîne!… Quel désordre
De trésors s’arrachant à mon avidité,
Et quelle sombre soif de la limpidité!
Ô ruse!… A la lueur de la douleur laissée
Je me sentis connue encor plus que blessée…
Au plus traître de l’âme, une pointe me naît;
Le poison, mon poison, m’éclaire et se connaît:
Il colore une vierge à soi-même enlacée,
Jalouse… Mais de qui, jalouse et menacée?
Et quel silence parle à mon seul possesseur?
Dieux! Dans ma lourde plaie une secrète soeur
Brûle, qui se préfère à l’extrême attentive.
«Va ! je n’ai plus besoin de ta race naïve,
Cher Serpent… Je m’enlace, être vertigineux !
Cesse de me prêter ce mélange de noeuds
Ni ta fidélité qui me fuit et devine…
Mon âme y peut suffire, ornement de ruine !
Elle sait, sur mon ombre égarant ses tourments,
De mon sein, dans les nuits, mordre les rocs charmants;
Elle y suce longtemps le lait des rêveries…
Laisse donc défaillir ce bras de pierreries
Qui menace d’amour mon sort spirituel…
Tu ne peux rien sur moi qui ne soit moins cruel,
Moins désirable… Apaise alors, calme ces ondes,
Rappelle ces remous, ces promesses immondes…
Ma surprise s’abrège et mes yeux sont ouverts.
Je n’attendais pas moins de mes riches déserts
Qu’un tel enfantement de fureur et de tresse
Leurs fonds passionnés brillent de sécheresse
Si loin que je m’avance et m’altère pour voir
De mes enfers pensifs les confins sans espoir…
Je sais… Ma lassitude est parfois un théâtre.
L’esprit n’est pas si pur que jamais idolâtre
Sa fougue solitaire aux élans de flambeau
Ne fasse fuir les murs de son morne tombeau.
Tout peut naître ici-bas d’une attente infinie.
L’ombre même le cède à certaine agonie,
L’âme avare s’entr’ouvre, et du monstre s’émeut
Qui se tord sur le pas d’une porte de feu…
Mais, pour capricieux et prompt que tu paraisses,
Reptile, ô vifs détours tout courus de caresses,
Si proche impatience et si lourde langueur,
Qu’es-tu, près de ma nuit d’éternelle longueur?
Tu regardais dormir ma belle négligence…
Mais avec mes périls, je suis d’intelligence,
Plus versatile, ô Thyrse, et plus perfide qu’eux.
Fuis-moi! du noir retour reprends le fil visqueux!
Va chercher des yeux clos pour tes danses massives.
Coule vers d’autres lits tes robes successives,
Couve sur d’autres coeurs les germes de leur mal,
Et que dans les anneaux de ton rêve animal
Halète jusqu’au jour l’innocence anxieuse!…
Moi, je veille. Je sors, pâle et prodigieuse,
Toute humide des pleurs que je n’ai point versés,
D’une absence aux contours de mortelle bercés
Par soi seule… Et brisant une tombe, sereine,
Je m’accoude inquiète et pourtant souveraine,
Tant de mes visions parmi la nuit et l’oeil,
Les moindres mouvements consultent mon orgueil.»
Mais je tremblais de perdre une douleur divine!
Je baisais sur ma main cette morsure fine,
Et je ne savais plus de mon antique corps
Insensible, qu’un feu qui brûlait sur mes bords:
Adieu, pensai-je, MOI, mortelle soeur mensonge…
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